Responsable politique à Thiès, le Ministre de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel revient sur la tournée économique du Chef de l’État dans la région de Thiès. Dr Pape Amadou Ndiaye évoque aussi la situation politique nationale. Il plaide en faveur du respect des lois qui, selon lui, constituent le socle de notre stabilité.
Vous êtes responsable politique à Thiès. Quelle lecture faites-vous de la tournée économique du Chef de l’État qui s’est tenue récemment dans votre région ?
Tout d’abord, nous tenons à remercier le Président Macky Sall et les populations thiessoises qui sont sorties de façon massive et sans discernement pour recevoir le Chef de l’État. Tout le monde est sorti. Les Thiessois tenaient à remercier le Président de la République pour s’être déplacé, mais aussi pour les grands chantiers mis en place. C’est historique et nous en sommes reconnaissants.
Aux yeux du Président de la République, Thiès constitue une zone privilégiée, et cela dans tous les domaines. Dans la santé, le Président a mis en chantier trois hôpitaux de niveau 3, dans les trois départements de la région. Par rapport aux enjeux de l’aéroport de Diass et du port de Ndayane, il fallait des infrastructures sanitaires à la dimension de ces nouveaux enjeux. Thiès est devenue la capitale des infrastructures autoroutière, ferroviaire et aéroportuaire. En lançant la réhabilitation du chemin de fer, c’est tout Thiès qui remercie le Président parce que la ville de Thiès est historiquement, mais aussi économiquement, liée au chemin de fer. Il y a le hub aérien avec l’aéroport et l’école de formation des métiers aéroportuaires. Il y a le Port de Ndayane qui est le plus grand projet du Sénégal indépendant, avec une ambition de plus de 125.000 emplois à terme. Il y a aussi la plateforme pétrole-gaz de Kayar offshore. Tout cela va changer complètement le visage de la région qui a toujours été une capitale minière et agricole. Avec l’usine Kms 3, le problème de l’eau est également réglé. En somme, on a 1.500 milliards de Fcfa d’investissement, c’est-à-dire trois fois le budget du Sénégal en 2000, sur les trois prochaines années. C’est dire qu’on ne pouvait pas attendre mieux.
Il y a une nouvelle ville en gestation à Thiès. Est-ce qu’il ne serait pas important de faire de Thiès une métropole d’équilibre pour soulager la région dakaroise qui étouffe sérieusement ?
Vous venez de dire un des projets majeurs de Thiès : c’est le projet Mbour 4, un projet de ville nouvelle avec toutes les commodités et les infrastructures de ville moderne qui feront de Thiès la deuxième ville. Une métropole d’équilibre qui, avec le triangle Dakar-Thiès-Mbour, avec, en intermédiaire Diamniadio, permettra à Dakar de souffler. C’est une grande conurbation. En plus de Mbour 4, il y a Daga-Kholpa à Diass. C’est une importante offre en matière de logements. Ce qui doit permettre à Dakar de souffler. Dakar est une presqu’ile qui, contrairement à Thiès, n’a pas la possibilité d’extension.
En accueillant le Gouvernement à Thiès, la majorité présidentielle a fait une mobilisation importante. Toutefois, elle ne contrôle pas la ville. Est-ce qu’on peut dire que cette mobilisation est le présage d’une reconquête de la capitale du rail ?
Nous sommes sur le bon chemin. Nous avions perdu alors que la situation ne l’expliquait pas. La somme des candidats de la mouvance présidentielle était deux ou trois fois supérieure à celle de ceux qui ont gagné la mairie. Nous avons perdu du fait de la dispersion de nos voix. Nous avons perdu parce que nous ne nous sommes pas entendus. Nous n’avons pas eu de discussions préalables pour permettre de cicatriser les plaies et donc chacun est allé de son côté, malheureusement, on en a payé le prix fort. Concernant maintenant la nouvelle donne, nous avons et nous aurons un candidat unique. Aujourd’hui, on ne peut plus parler de dispersion de voix et le Président de la République, avec tout ce que j’ai énuméré un peu plus haut, nous permettra d’avoir un bon discours. Et par la mobilisation que j’ai vue, les thiessois sont prêts à accompagner le Chef de l’État pour lui témoigner leur reconnaissance par rapport à tout ce qu’il a fait, mais également par rapport aux ambitions et aux réalisations.
Que pensez-vous de la violence verbale et de la surenchère notées actuellement dans le jeu politique ?
Le monde a changé et malheureusement a changé beaucoup plus vite que nous ne le pensions. Avant, le Sénégal avait comme socle des valeurs qui étaient le « Jom », le « Kersa », le respect de l’autorité et de la hiérarchie, surtout du respect de nos marabouts qui constituaient le gage de la stabilité de ce pays. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies de l’information, nous avons une nouvelle façon de voir. Des jeunes sont sortis du néant avec une nouvelle façon de voir. La première fois que j’ai entendu quelqu’un insulter sur les réseaux sociaux, j’étais abasourdi. Ceux qui insultaient publiquement, avant, étaient méprisés ; aujourd’hui, ce sont des porte-voix. Cela est une nouvelle donne. Le Sénégal a été respecté grâce à sa stabilité. Notre pays a toujours été respecté parce qu’il y avait une exception sénégalaise. Léopold Sédar Senghor, par exemple, est issu d’une minorité religieuse et non seulement il a dirigé ce pays pendant longtemps, mais il a été adoubé par les marabouts. C’était un exemple pour tous. On est en train de perdre toutes ces valeurs. On est en train de perdre, sans le savoir, ce qui faisait notre exception. Une certaine jeunesse, souvent mal formée, est en train de tout faire pour déstabiliser ce que le monde entier nous enviait. J’espère que tous les Sénégalais vont se réveiller afin de faire face sinon, demain, nous serons tous comptables. Il y a une dérive que les Sénégalais ne connaissaient pas. Il est temps de revenir aux fondamentaux du Sénégal, c’est-à-dire le respect de notre hiérarchie, de nos marabouts puisque c’est l’Islam confrérique qui a été notre garde-fou face aux dérives. C’est heureux de constater que l’ensemble des familles religieuses sont en train de prendre les choses en main et de parler aux populations. Peut-être que ce ne sera pas facile, mais très bientôt, on l’espère, les gens reviendront à la raison et sauront que ce pays, le jour où on le brûlera, nul ne sera épargné.
On est à un an de la Présidentielle et cette surenchère risque d’aller crescendo. Sur le plan des affaires, ce n’est pas rassurant. Est-ce qu’il ne faudrait pas voir comment rassurer les investisseurs parce qu’avant de se décider, ils mettent sur la balance des facteurs comme la sécurité, voire la stabilité ?
Une chose est sûre : les investisseurs seront rassurés parce qu’ils savent que le Sénégal est un pays de droit et comme le disent certains : force restera à la loi. C’est vrai que ce sont les situations sociale, sanitaire et économique qui ont fait le lit des évènements passés et dépassés. Aujourd’hui, je ne pense pas que de tels évènements puissent se reproduire. Cela n’empêche que tout le monde doit faire attention pour ne pas aller vers les dérives. C’est pourquoi je pense qu’au Sénégal, nous devons rester légalistes. Toute personne qui doit être candidat ou qui ne doit pas l’être, il n’y a qu’une seule structure capable de dire le droit et c’est le Conseil constitutionnel. Nous devons tous accepter sa décision. C’est ce respect des Lois qui a toujours été le socle de notre stabilité. Je pense qu’aujourd’hui, tous les candidats potentiels doivent avoir la loyauté d’accepter le verdict du Conseil constitutionnel. Dans beaucoup de pays, les gens sont contre la troisième candidature parce qu’il n’y a pas d’élections libres et transparentes ; ce qui n’est pas le cas au Sénégal. La légalité est du côté du Conseil constitutionnel et nous tous, nous attendons cette légalité, mais la légitimité est du côté du peuple et ce dernier est le seul garant de la stabilité. Ce qu’il y a, c’est qu’au Sénégal, on ne peut pas tripatouiller des élections. Les élections au Sénégal sont transparentes, autrement, on n’aurait pas perdu à Thiès, à Dakar, bref dans les grandes villes. Toute personne qui veut, demain, diriger ce pays n’a qu’à aller vers le peuple souverain à qui appartient l’ultime décision. Que des gens veuillent se substituer au Conseil constitutionnel ou à la volonté du peuple, je vous assure que le Gouvernement ne l’acceptera pas, car la force restera à la loi.
Beaucoup de pays se sont appuyés sur l’artisanat et les Pme pour se développer. Vous êtes le Ministre de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel. Comment comptez-vous faire pour redynamiser ce secteur qui, du reste, est très stratégique pour développer notre économie ?
L’artisanat est un facteur de stabilité sociale qui permet de prendre en charge la plupart des élèves qui sont en déperdition scolaire. Mais, à partir de maintenant, nous ne voulons plus que l’artisanat soit une école de deuxième chance. Elle doit être une école de première chance. C’est l’ambition du Président de la République. Si vous voyez des pays comme la France, la première fortune et la deuxième fortune du monde, c’est Lvmh, ce sont des artisans. Si vous allez en Allemagne, en Suisse ou bien en Indonésie, vous vous rendrez compte que l’artisanat a beaucoup contribué au développement de ces économies. L’artisanat doit vendre la destination Sénégal, en montrant notre savoir-faire. On a, aujourd’hui, la possibilité avec la Zlecaf qui va bientôt prendre son envol que le Sénégal puisse, grâce à la valeur ajoutée connue de son artisanat, essaimer et gagner les grands marchés d’Afrique de l’Ouest, du continent et pourquoi pas, demain, le monde. C’est notre ambition, c’est l’ambition du Président de la République et nous y veillerons. L’artisanat constitue le premier jalon vers l’industrialisation. Il n’y a que l’artisanat qui permet de régler le problème de l’emploi. En effet, l’industrie qui marche n’emploie pas ; il n’y a que l’artisanat qui permet de générer un grand nombre d’emplois et d’accompagner aussi, de manière rapide et peu onéreuse, l’accès à l’emploi, mais également aux richesses. Dans notre Ministère, la transformation du secteur informel permet non seulement d’améliorer la productivité parce que nos artisans doivent faire face à de multiples contraintes telles que l’accès à la matière première, à un local décent, au financement, au marché public, la concurrence déloyale, etc. Ce sont autant de choses qui tuent notre artisanat. Il nous faut travailler à ce que l’artisanat prenne sa vraie place pour créer de la richesse, améliorer la productivité, amener une créativité par la création même d’une université de l’artisanat qui sera un centre de recherche, d’innovation et de créativité. Tout cela avec l’intégration des savoirs et des savoir-faire des designers, des professeurs d’université, des anthropologues, etc. C’est un grand projet de l’État et nous tenons vraiment à le concrétiser afin d’améliorer la productivité du secteur artisanal. Ce dernier est éminemment transversal. Il nous faut l’accompagner pour atteindre ces grands objectifs. La production est là, il faut une amélioration de la productivité et au-delà, aller vers une commercialisation en s’adossant sur le digital. Notre ambition, c’est de passer du marché physique au marché digital. Avant, on attendait, assis, le client, aujourd’hui, il est à portée de clic. C’est pourquoi nous sommes en train de travailler avec le Sénégal numérique. On est en train de signer des conventions pour la digitalisation de l’artisanat et cela depuis la conception jusqu’à la commercialisation en passant par la réalisation.
Propos recueillis par Aly DIOUF (Le Soleil)