Riche d’une expérience de 40 ans dans le secteur de l’eau, l’ingénieur hydraulicien Fadel Ndaw a dédié, dès son enfance, sa vie à la res source vitale. Auteur d’un récent ouvrage autobiographique « Un parcours au fil de l’eau », il nous replonge dans les différentes stratégies hydrauliques nationales, les enjeux liés au fleuve Sénégal et préconise des solutions durables contre les inondations.
Grande interview
Dans le préambule de votre ouvrage autographique « Un parcours au fil de l’eau », vous revenez sur votre « vie dédiée à l’or bleue ». Entre votre enfance au cours de laquelle vous cherchiez le liquide précieux à la borne-fontaine pour votre mère et vos études, à quel moment avez vous plongé dans l’eau ?
J’ai très tôt plongé dans l’eau, si vous voulez dans la marmite de l’eau comme un personnage célèbre. J’ai grandi à Pikine Icotaf et à l’époque, il y avait peu de mai sons qui disposaient d’un bran chement domiciliaire à l’eau. La plupart des ménages s’approvi sionnaient auprès des bornes fon taines publiques qui, d’ailleurs, portaient les noms de chefs de quartier. La nôtre s’appelait Ab doulaye Ly. Je voyais ma mère souffrir en allant chercher l’eau et je l’accompagnais. C’est peut être de là qu’est née ma vocation, me disant que quand je serai grand, j’apporterai l’eau à tous les Sénégalais. En plus, je le raconte dans le livre, nous les Ndawène, nous sommes de Namandirou, un royaume mythique qui était là avant le Djolof. C’était un royaume d’abondance, mais frappé par un brusque change ment climatique, les lacs, les ruis seaux avaient tari et les chevaux mouraient. Par conséquent les populations avaient fui le royaume de Namandirou à cause du manque d’eau. C’est un deuxième signe que l’eau est liée à ma destinée.
Le troisième signe est que ma mère est de Ngourane, d’où est originaire Cheikh Déthialaw Seck, que l’on appelle le Lion de Ngou rane. Il était au fond d’un puits lorsque Cheikh Saadbouh lui est apparu dans un rêve. Il est de venu par la suite un grand cheikh après avoir séjourné en Maurita nie comme le-lui demandait dans son rêve Cheikh Saadbouh. J’ai visité ce puits et participé à sa ré novation. Le dernier signe qui montre que mon destin est lié à l’eau, c’est quand j’étais en ter minale C au lycée Blaise Diagne, je faisais partie des meilleurs élèves. Un capitaine du camp Dial Diop avait proposé de m’envoyer en France pour faire la Marine à Brest. En même temps, il y avait des bourses de formation de la Communauté Économique Européenne en hydraulique, agronomie, mines et autres spécialités pour bacheliers. Comme par ha sard, j’ai choisi l’hydraulique. En France, j’ai fait mes études à l’École nationale du Génie de l’eau et de l’environnement de Stras bourg (Engees) et mon stage d’in génieurs dans un bureau d’études installé à Tarbes qui faisait pour l’Omvs une étude du plan direc teur de la rive gauche de la vallée du fleuve Sénégal. Cela a été une chance pour moi. Juste après mes études, j’ai été recruté par la Soned-Afrique qui était en groupement avec ce bureau d’études français.
Dans votre ouvrage, vous déplorez que des pays africains confient certaines études stratégiques à des bureaux d’étude étrangers, au lieu de se donner les moyens de les réaliser. N’est-ce pas là la tare congénitale des projets hydrau liques en Afrique où le problème de l’eau reste entier ?
Cela va au-delà de l’hydrau lique. Quand on doit définir des projections du développement, des plans stratégiques, il vaut mieux faire confiance aux natio naux parce que les bureaux d’études étrangers sont souvent liés à leurs pays. Ces bureaux peuvent orienter les études dans le sens voulu par leur propre gou vernement. Il vaut mieux confier les études à caractère stratégique à des nationaux, qu’ils soient pu blics ou privés. En confiant des études stratégiques aux bureaux nationaux, vous utilisez vos pro pres ressources. Dans le livre, je déplore le fait qu’en 1991, le bu reau d’études national, Soned, ait été privatisé. Pourtant, c’était une vision des gouvernements à l’époque d’avoir des bureaux na tionaux pour conduire les études stratégiques mais malheureuse ment avec les programmes d’ajus tement structurel, ils ont décidé de privatiser la Soned. Ce qui était une mauvaise chose car, pendant ce temps, en Côte d’Ivoire, le Bu reau d’études national (Bnet créé après la Soned) contribue tou jours aux études et projets du pays.
À cet égard, il y a plusieurs exemples que je peux donner qui montrent qu’il faut s’orienter vers des bureaux d’études nationaux et à l’expertise nationale à tout le moins. Quand nous préparions le Programme eau potable et as sainissement du millénaire (Pepam), la Banque africaine de développement (Bad) avait établi sa propre stratégie pour atteindre en 2015 les Objectifs du Millé naire pour le Développement (Omd) dans le secteur de l’eau et avait dégagé des fonds impo tants. Nous n’étions pas prêts quand ses responsables sont venus vers nous en 2002 et 2003 pour nous appuyer à financer un programme dont le but était d’al ler vers les Omd. La Bad avait un financement de 20 milliards de FCfa, mais le Sénégal n’avait pas encore défini sa propre stratégie. Le fait qu’on ait refusé un tel fi nancement avait choqué. C’est par la suite que nous avons éla boré notre stratégie.
Réalisée par Malick Ciss et Eugène Kaly et Moussa Sow (photos)
(Le reste de l’interview à retrouver dans le journal Le Soleil du 20 novembre 2024)
Ouragan/ LeSoleil