Amadou Hott, économiste, ancien ministre sénégalais de l’Economie, du plan et de la coopération et ancien vice-président de la Banque africaine de développement (Bad) en charge de l’énergie, du climat et de la croissance verte, est candidat pour la présidence de cette institution. Une candidature en droite ligne de ce qu’a été le Sénégal dans le monde : avant la découverte du pétrole et du gaz, la principale richesse de notre pays était la qualité de ses ressources humaines et de sa diplomatie. Le Sénégal ne compte pas sur l’échiquier mondial, il pèse.
En effet, d’illustres personnalités sénégalaises ont eu à diriger de grandes institutions africaines et mondiales ; ce qui a augmenté notre prestige. L’Unesco et la Fao ont été dirigées par Amadou Makhtar Mbow, de 1974 à 1987, et Jacques Diouf, d’août 1994 à fin juin 2011. Quant à Kéba Mbaye, il a été président du Tribunal arbitral du sport (Tas) et président de la Commission d’éthique du Comité international olympique (Cio). Et que dire de Lamine Diack, président de l’Iaaf de 1999 à 2011 ?
Plus récemment, nous avons, depuis mars 2021, Makhtar Diop, Directeur général de la Société financière internationale (Sfi), la branche du Groupe de la Banque mondiale dédiée principalement au secteur privé dans les pays émergents. Auparavant, il était vice-président de la Banque mondiale pour les infrastructures et vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique subsaharienne.
Ou encore Abdoulaye Diop, ancien ministre du Budget, nommé président de la Commission de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Uemoa). Abdoulaye Diop fut précédé à la présidence de la Commission de l’Uemoa par l’ancien Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré et, à la création de cet organe communautaire, par Moussa Touré.
Sidi Ould Tah, actuel président de la différence
C’est dire que la candidature de l’ancien ministre Amadou Hott, soutenue par le Sénégal, est une très bonne chose. D’ailleurs, le Sénégal mobilise un soutien régional et international pour son candidat dont les compétences et le leadership sont mis en avant pour diriger la Banque africaine de développement (Bad). «M. Amadou Hott, candidat du Sénégal à la présidence de la Banque africaine de développement, bénéficiera du soutien nécessaire», dira Yassine Fall, ministre de l’Intégration africaine et des affaires étrangères, lors de la cérémonie de lancement de la candidature de l’ancien ministre de l’Economie, du plan et de la coopération, en présence de plusieurs membres du gouvernement et d’autres personnalités sénégalaises, d’ambassadeurs au Sénégal de nombreux pays et de dirigeants du secteur privé. Pour Mme Fall, Hott est «un choix mûrement réfléchi et motivé par le parcours exceptionnel et les compétences remarquables de l’ancien ministre». C’est le «choix du président de la République, Son Excellence M. Bassirou Diomaye Faye». Mieux, «c’est une candidature très forte» qui «incarne parfaitement le leadership dont la banque a besoin». L’électrification, l’alimentation, l’industrialisation et l’amélioration de la qualité de vie des Africains sont les principaux défis que doit continuer à relever la Banque africaine de développement, selon Yassine Fall. Des «défis multiples» auxquels s’ajoutent l’urgence climatique, les crises sanitaires, la consommation numérique, la problématique des jeunes et l’autonomisation des femmes.
La Banque africaine de développement (Bad) va désigner, le 29 mai 2025 à Abidjan, le successeur du Nigérian Akinwumi Adesina. Le président de la Bad est élu par le Conseil des gouverneurs pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Le président actuel a été élu le 28 mai 2015 et a commencé son premier mandat le 1er septembre 2015. Il a été réélu le 27 août 2020 et a entamé son second et dernier mandat le 1er septembre 2020.
La Sud-Africaine Bajabulile Swazi Tshabalala, Vice-présidente principale de la Bad, a démissionné de ses fonctions en octobre dernier en raison de sa candidature à la présidence de cette institution financière. Amadou Hott a également démissionné de ses fonctions d’Envoyé spécial du président de la Bad chargé de l’Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique. Selon le magazine économique et financier «Financial Afrik», le Béninois Romuald Wadagni, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli et le Zambien Samuel Maimbo sont également candidats.
Et la dernière candidature annoncée est celle du Mauritanien Sidi Ould Tah, actuel président de la Banque arabe pour le développement en Afrique (Badea). D’ailleurs, c’est une candidature qui pourrait faire la différence, car aucune candidature des pays d’Afrique du Nord ne se profile, alors qu’ils représentent plus de 20% des droits de vote. Mieux, Ould Tah est soutenu officiellement par le Président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, qui est un atout fort pour sa candidature. Le pays des Eléphants représente 3, 6% des votes et se trouve parmi les 20 pays qui ont le plus de pouvoir de vote.
Amorcer la rupture ou assurer la continuité ?
Pour cette élection, deux logiques s’affrontent : faire dans la continuité de l’action de Adesina (réélu en 2020, mais très controversé parce qu’accusé de népotisme, et ayant même fait l’objet d’une enquête). C’est dans ce camp que se situent Amadou Hott ou le Zambien Samuel Munzele Maimbo qui est vice-président de la Bad en charge du budget. Or, cette proximité avec l’actuel président Adesina pourrait, selon Jeune Afrique, «lui porter préjudice auprès des actionnaires non régionaux», même si elle ne semble pas affecter son image auprès des pays africains. En effet, est-ce de bon ton d’être perçu comme le continuateur de l’œuvre de quelqu’un dont le mandat a été jugé peu reluisant et fortement décrié par la Société civile africaine, qui lui reproche de trop miser sur l’investissement privé ?
Et de l’autre côté, il y a les partisans d’une rupture, comme le Tchadien Mahamat Abbas Tolli très soutenu par les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et par la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac). L’ancien Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) a réussi à fédérer toute l’Afrique centrale autour de sa candidature. D’ailleurs, le Cameroun a officiellement renoncé à présenter un candidat pour la présidence de la Bad, se rangeant derrière la candidature du Tchadien. En effet, dans l’impossibilité de départager ses deux prétendants potentiels, l’économiste Albert Zeufack, directeur pays de la Banque mondiale, et Marie-Laure Akin-Olugbade, actuelle vice-présidente de la Bad, Yaoundé a choisi de respecter son engagement régional en faveur de Abbas Tolli.
Enfin, Hott aura aussi à faire face à Samuel Munzele Maimbo, qui bénéficie déjà de soutiens conséquents. Jeune Afrique révèle que le Zambien, vice-président à la Banque mondiale, est soutenu par «près de la moitié des pays du continent» grâce aux appuis de la Communauté de développement d’Afrique australe (Sadc) et du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa). Il se dit que son passé de directeur de Cabinet de David Malpass, l’ex-président de la Banque mondiale proche de Donald Trump, pourrait également peser dans la balance, les Etats-Unis étant le deuxième actionnaire de la Bad avec 6, 5% de pouvoir de vote.
Obtenir la double majorité des actionnaires africains et des actionnaires non africains pour passer
Pour remporter cette élection stratégique, les règles sont précises : le futur président devra obtenir une double majorité. Il lui faudra convaincre à la fois les actionnaires africains, qui détiennent 60% des droits de vote, et les actionnaires non régionaux, principalement occidentaux, qui contrôlent les 40% restants. Côté africain, le Nigeria pèse très fortement avec presque 8, 6% des voix, derrière l’Egypte 6, 5% et l’Algérie qui pèse environ 5%, tout comme l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire représentant, elle, 3, 6%. Parmi les bailleurs non régionaux, on retrouve les Etats-Unis qui représentent 6, 5%, le Japon qui possède 5% des droits de vote, l’Allemagne qui a 4, 1% de l’actionnariat, la France n’étant pas dans les 10 premiers actionnaires de référence, avec seulement 3, 7% des droits de vote.
C’est dire que cette élection s’annonce complexe et le jeu des alliances n’est pas pour l’heure favorable au candidat sénégalais. En effet, là où les institutions sous-régionales du Centre et du Sud de l’Afrique font bloc derrière le candidat issu de leurs rangs, Amadou Hott devra faire face au Mauritanien soutenu par Ouattara, le puissant parrain de la zone Cedeao.
L’autre argument qui ne milite pas en faveur du Sénégalais est le «principe de la rotation» dans les institutions régionales et/ou internationales. En effet, il est de bon ton, après 10 ans de gouvernance d’un ressortissant d’un pays de l’Afrique de l’Ouest, de se tourner vers d’autres régions africaines. Donc les pays membres de l’Afrique centrale ou australe vont forcément souhaiter que le poste soit pourvu par une personnalité hors de la région ouest-africaine.
Gros calibre a effectivement un gros morceau
Elire Amadou Hott est une tâche ardue, un défi immense. Toutefois, il est loisible de se demander si notre diplomatie, avec à sa tête la ministre «Gros calibre», est capable de fédérer les Africains et même les non-Africains à la candidature du Sénégalais. «Gros calibre» a effectivement un gros morceau pour prouver qu’elle est à la hauteur des ambitions diplomatiques du Sénégal ; même si beaucoup en doutent. En effet, le Sénégal, pays en «ruines» et «sans marges de manœuvre budgétaire et financière», est devenu un pays isolé et sans influence. Déjà, personne n’est en mesure de dire si nos voisins immédiats (Mali, Guinée, Guinée-Bissau, Gambie) apporteront leur soutien à Hott. Comme dans le domaine de la communication, une bonne communication interne (diplomatie de bon voisinage) a des effets positifs sur la communication externe (conquête de l’Afrique et de la présidence de la Bad). Si une bonne diplomatie de voisinage existait dans nos rapports avec eux, ces mêmes voisins ne seraient pas les fossoyeurs de nos ambitions africaines. La visite du Premier ministre en Mauritanie, suivie de l’envoi d’un émissaire mauritanien auprès du Président Diomaye, sonne comme un désaveu du voyage de Sonko. L’on se rappelle que l’actuel Premier ministre avait fustigé l’accord de partage de la production du champ gazier de Gta. Il trouvait que ledit accord était en défaveur du Sénégal et promettait d’y revenir une fois au pouvoir, non sans dire que «ceux qui parlent de rapport de bon voisinage sont des hypocrites». En janvier 2017, lors de l’élection du président de la Commission de l’Union africaine, le candidat sénégalais Abdoulaye Bathily n’avait même pas reçu le soutien des voisins. En tout cas, le Sénégal n’a même pas pu obtenir tous les votes des pays de la Cedeao.
De plus, le Sénégal pourrait-il battre le candidat soutenu par ADO et la Côte d’Ivoire qui pèse 16 mille milliards de budget pour 2025 avec une balance commerciale excédentaire, première producteur de cacao et deuxième en café ? Non sans oublier que Birame Soulèye Diop, actuel ministre de l’Energie, alors opposant, avait créé un incident diplomatique en accusant le Président Ouattara d’avoir fait assassiner son successeur désigné, Amadou Gon Coulibaly. Les populistes ne règlent pas les problèmes, ils en créent d’autres pour cacher leur incompétence.